INTRODUCTION
La greffe de moelle osseuse ou allogreffe de cellules souches hématopoïétiques (CSH) est actuellement une technique validée qui apporte un espoir de guérison dans un grand nombre d’affections hématologiques malignes (hémopathies malignes) et non malignes (aplasie médullaire, hémoglobinopathies, déficits immunitaires congénitaux) ainsi que dans un certain nombre d’affections extra hématologiques de nature cancéreuse ou non.
Depuis l’avènement des greffes à la fin des années 60 à ce jour, de nombreux progrès ont été réalisés qui ont permis le développement de nouvelles techniques et modalités de greffe afin d’améliorer la survie des patients et d’étendre les indications des allogreffes. Ainsi, la meilleure compréhension du système HLA et l’affinement des techniques de typage HLA ont eu pour conséquence une amélioration des résultats des greffes non apparentées. L’utilisation de greffons de cellules souches périphériques (CSP) a permis d’alléger la procédure pour le donneur. Le recours à des greffons de sang placentaire et à des manipulations des greffons autorise la greffe chez des patients ne présentant pas de donneur complètement HLA compatible.
Depuis 1998 (1) les modalités d’allogreffe de CSH se sont enrichies d’une nouvelle technique dite de « minigreffe » ou greffe à conditionnement atténué ou greffe non myéloablative (GNMA).Dans ce type de greffe,le conditionnement myéloablatif à vocation antitumorale a été remplacé par des conditionnements essentiellement immunosuppresseurs, qui permettent l’installation d’une chimère hématopoïétique, responsable d’un effet immunologique contre les cellules normales et tumorales du patient, procédure qui laisse espérer une réduction considérable de la morbidité à court terme et de la mortalité rendant cette thérapeutique accessible à des patients qui en étaient privés jusque là.
CONCEPT GENERAL DE L’ALLOGREFFE CONVENTIONNELLE
La réalisation d’une allogreffe de CSH implique l’administration préalable d’une chimiothérapie aux doses maximales efficaces associée ou non à une irradiation corporelle totale (conditionnement à la greffe) qui permet :
- L’immunosuppression de l’hôte nécessaire à la prise de greffon et à la prévention du rejet de greffe.
- La destruction des cellules hématopoïétiques de l’hôte, visant à supprimer un potentiel clone malin et éventuellement assurer la vacuité médullaire.
- Le rétablissement d’une hématopoïèse normale dans les aplasies médullaires et affections génétiques.
Jusqu’au début des années 90, seule la moelle osseuse était utilisée comme produit de cellules souches. Depuis une dizaine d’années (2), les cellules souches périphériques (CSP) obtenues par cytaphérèse après stimulation médullaire par des facteurs de croissance, avec de faibles contraintes pour le donneur ont progressivement remplacé la moelle osseuse qui, elle, nécessite pour le donneur un prélèvement sous anesthésie générale.
La réalisation d’une greffe allogénique dans une hémopathie maligne a un double intérêt,d’une part le patient bénéficie de l’effet-dose du conditionnement myéloalatif et immunosuppresseur réalisé avant la greffe,d’autre part l’injection d’un greffon provenant d’un donneur sain permet de remplacer le système hématopoïétique malade mais aussi le système immunitaire. Il existe donc un effet immunothérapique de la greffe. Les cellules immunocompétentes du donneur, essentiellement les lymphocytes T peuvent reconnaître, du fait de la disparité d’histocompatibilité, les cellules du receveur et les détruire.
Cet effet greffon vers le receveur est double : l’effet contre les cellules constitutives du donneur est toxique, il est appelé réaction du greffon contre l’hote (Graft Versus Host : GVH) puisqu’il détruit les cellules somatiques du receveur, mais il existe aussi un effet bénéfique, c’est l’effet greffe contre la maladie (Graft versus malignancy : GVM ou graft versus tumor ou encore et c’est le plus utilisé graft versus leukemia : GVL) qui traduit la reconnaissance et la destruction par les cellules immunocompétentes du greffon des cellules tumorales résiduelles du receveur.
C’est cet effet qui justifie principalement la réalisation d’allogreffe de CSH dans les hémopathies malignes.
PRINCIPES DE LA GREFFE NON MYELOABLATIVE (GNMA)
Plusieurs éléments permettent de remettre en cause la conception de l’allogreffe conventionnelle. D’abord, le conditionnement si intense soit-il ne peut à lui seul éradiquer la totalité des cellules malignes comme cela a été démontré par plusieurs équipes lors de greffes syngéniques où le taux de rechutes est très élevé. L’augmentation de l’intensité du conditionnement ne fait apparaître aucun bénéfice si ce n’est une plus grande toxicité. De nombreuses évidences plaident en faveur du rôle curateur majeur d’un effet immunologique du greffon contre la maladie (GVM) montré dès la fin des années 50 puis suggéré par Mathé en 1965. Cet effet est confirmé par les résultats de multiples analyses démontrant la réduction du risque de rechute associé à l’allogreffe et à la GVH. L’analyse publiée par l’IBMTR (International bone marrow transplatation registry) montre clairement qu’il existe un effet « greffon contre leucémie » indépendant de l’existence d’une réaction clinique de GVH et qu’il est médié par les lymphocytes T du donneur. De plus, il est désormais établi que l’injection des lymphocytes du donneur (Donor Lymphocyte Infusion : DLI) permet d’induire des rémissions lors de rechutes survenant après l’allogreffe. . Ces résultats sont confirmés depuis par d’autres groupes qui ont montré l’impressionnant potentiel antileucémique de cette approche, capable de réduire de l’ordre d’un million de fois la quantité de cellules leucémiques.
D’autres preuves indirectes conduisent aussi à conclure que les cellules immunocompétentes du donneur peuvent avoir un effet antileucémique, comme la régression des leucémies consécutive à l’interruption de l’immunosuppression, régression d’ailleurs concomitante d’une apparition ou de la réapparition d’une GVH.
Le bénéfice antitumoral de la GVH clinique est largement compromis par sa toxicité et celle des traitements immunosuppresseurs qu’elle impose. L’IBMTR (3) montre qu’une GVH aigue ou chronique d’intensité modérée ou sévère réduit le risque de rechute d’un facteur 4 ou 5, mais en même temps augmente le risque de décès d’un facteur 2 ou 3. Seules les GVH légères réduisent à la fois ce risque de rechute ou de décès d’un facteur 2.
Ces observations ont permis d’envisager l’allogreffe comme moyen d’immunothérapie cellulaire allogénique où le conditionnement n’est plus myéloablatif mais principalement immunosuppresseur et moins toxique permettant l’installation de l’effet GVM.
STRATEGIE THERAPEUTIQUE DE L’ALLOGREFFE NON MYELOABLATIVE :
Ainsi le conditionnement non myéloablatif a pour but d’assurer la prise de greffe en détruisant le système immunitaire du receveur. L’acquisition d’un chimérisme hématopoïétique donneur est due aux lymphocytes T du greffon. Ce phénomène est souvent progressif, avec durant les premiers mois post-greffe coexistence de l’hématopoïèse du donneur et du receveur (figure 1).
Figure 01 : Stratégie de la GNMA
L’existence d’un effet GVL est corrélé à l’acquisition d’un chimérisme totalement donneur et peut être obtenu dans un deuxième temps par l’injection des lymphocytes du donneur.
L’immunomodulation après greffe permet d’augmenter l’effet GVL grâce à la diminution ou à l’arrêt de l’immunosuppression associée ou non à des DLI guidée par la documentation du chimérisme et de la maladie résiduelle.
1- Chimérisme :
Le rationnel des allogreffes après conditionnement non myéloablatif repose sur l’induction primaire d’un chimérisme mixte. Celui-ci est un état de tolérance induit où coexistent les systèmes hématopoïétiques du donneur et du receveur (4).
L’état de chimérisme durable peut nécessiter une modulation de l’immunosuppression associée ou non à l’injection des lymphocytes du donneur (DLI) secondaire pour permettre l’installation d’une chimère et ainsi permettre un effet allogénique antitumoral maximum (figure 2).
La documentation du chimérisme est donc indispensable dans le suivi et la démarche stratégique des greffes après conditionnement non myéloablatif.
Figure 02 : Cinétique du chimérisme après GNMA
Le suivi du chimérisme se fait actuellement par biologie moléculaire en utilisant l’amplification (protein chain reaction : PCR). Il est étudié par analyse de marqueurs génétiques polymorphes de façon séquentielle.
2 - Injection des lymphocytes du donneur (Donor Lymphocytes Infusion: DLI)
L’effet GVL a été magistralement démontré grâce aux résultats observés lors des injections de lymphocytes de donneurs allogéniques dans le cadre de rechutes après allogreffes de CSH et particulièrement au cours des leucémies myéloïdes chroniques (LMC) (5). Ces lymphocytes sont recueillis par cytaphérèses chez le donneur et injectés au patient. Ils ne sont pas rejetés car, lors de la rechute, l’hématopoïèse résiduelle et l’immunité restent le plus souvent en majorité celles du donneur. La quantité de lymphocytes injectés varie de 1x107 à 2x108 de CD3 par kilo de poids du receveur. Les lymphocytes sont injectés en une seule fois ou par paliers de doses croissantes. Les DLI sont plus efficaces en cas de rechutes moléculaires par rapport aux rechutes hématologiques.
Leur effet est souvent retardé et peut n’apparaître que plusieurs mois après l’injection et peut provoquer une GVH grave et/ou une insuffisance médullaire.
Le calendrier des injections lymphocytaires devrait tenir compte de l’évolution du chimérisme.
L’effet GVL des DLI est variable selon les pathologies :
- La LMC est la plus sensible, 3/4 des patients en rechute myélocytaire sont remis en rémission par les DLI mais ne sont pas efficaces par contre sur les rechutes en crise blastique.
- Dans les leucémies aigues myéloïdes (LAM), 30 % seulement répondent de façon transitoire aux DLI.
- Les leucémies aigues lymphoblastiques (LAL) sont, en général, peu sensibles aux DLI.
- Dans les hémopathies lymphoïdes (leucémie lymphoïde chronique,myélome multiple, lymphomes), leur efficacité est démontrée pour quelques cas seulement.
3 - Maladie résiduelle (ou minimal residuel disease : MRD)
On considère, en général, que le nombre de cellules leucémiques au diagnostic est compris entre 1011 et 1012 cellules. Les cellules ne sont plus détectées par l’examen cytologique classique du sang et de la moelle quand le nombre est inférieur à 1010. Le patient est considéré en rémission hématologique alors que ces cellules n’ont pas totalement disparu.
La persistance de cellules tumorales dans l’organisme non détectées par les techniques conventionnelles, constitue la maladie résiduelle. Sa détection dans la moelle ou dans le sang permet de suivre plus longtemps l’évolution de la masse tumorale et de mieux apprécier la sensibilité des cellules tumorales aux divers traitements. C’est un facteur pronostic puissant.
Le suivi de la maladie résiduelle s’effectue par technique de PCR. Il est nécessaire de disposer d’un marqueur génique qui distingue les cellules tumorales des cellules normales, et qui soit le plus spécifique possible.
Le transcrit bcr-abl est le plus connu des transcrits chimériques. Il est le résultat de la fusion des gènes bcr et abl, consécutive à la translocation t(9,22) observée dans la LMC et dans 25 % des LAL. Dans la LMC après allogreffe, les transcrits bcr-abl sont détectés chez la plupart des patients dans les semaines suivant la greffe (6).
La RT-PCR quantitative effectuée de façon séquentielle et précoce permet d’identifier un groupe de patients de bon pronostic dont le taux faible de bcr-abl reste constant ou diminué et un groupe de patients à haut risque de rechute dont le taux de transcrit s’élève.
Les patients présentant une PCR négative après 6 mois post-greffe ont un risque relatif de rechute très faible. Chez la totalité des patients présentant une rechute hématologique ou cytogénétique, la PCR est restée positive ou s’est repositivée, 6 à 12 mois avant le diagnostic de rechute.
Elle peut donc permettre en post-greffe d’une part de diminuer l’immunosuppression plus rapidement en cas de persistance d’un taux de transcrit bcr-abl fortement positif, d’autre part de détecter et traiter par DLI les patients en phase de maladie résiduelle à haut risque de rechute.
Dans la leucémie aigue, les données récentes montrent que le protocole de suivi de la maladie résiduelle d’une LAM avec une translocation t (8,21) doit prévoir des explorations rapprochées car la majorité des rechutes ont lieu durant la première année.
INDICATIONS ET RESULTATS
La GNMA est essentiellement utilisée chez les patients présentant une hémopathie maligne (leucémies myéloïdes ou lymphoïdes chroniques, lymphomes, maladie de Hodgkin, myélomes, myélodysplasies et leucémies aigues).
Les patients inclus le sont du fait d’une contre-indication à la greffe classique (âge supérieur à 45-50 ans, comorbidité, mauvais état général), mais aussi chez les sujets jeunes dans les pays émergeants en raison du plus faible coût de la procédure (7).
Le type de conditionnement est basé sur l’utilisation de la fludarabine associée soit à une irradiation corporelle totale à faible dose (2 grays),soit au busulfan (8 mg/kg) ou au melphalan (140 mg/m2) ou à l’endoxan (120mg/kg) avec ou sans sérum antilymphocytaire.
Le taux de prise du greffon est compris entre 90 et 100%, il est meilleur avec la greffe de CSP par rapport à la greffe de moelle.
La toxicité et les complications liées à la greffe sont moindres par rapport à la greffe myéloablative en raison de la durée courte ou même à l’absence dans 40% des cas de neutropénie profonde :
- gravité et fréquence de la mucite
- risque d’infection bactérienne et candidosique
- besoins transfusionnels plaquettaires et érythrocytaires
- absence de maladie veino-occlusive
Par contre la GVH aigue et chronique restent un problème important. En effet, l’incidence de la GVH aigue de grade II à IV varie de 30 à 49 % (8, 9,10) dont un tiers de formes retardées (au delà de 100 jours), la GVH chronique quant à elle est plus fréquente, elle varie de 43 à 66% (8, 9,10).
Le risque de rechute parait plus élevé par rapport à la greffe myéloablative, il est diminué par la surveillance stricte du chimérisme nécessaire chez tous les patients et si cela est possible, en fonction de la pathologie, par la quantification de la maladie résiduelle. Ainsi si un chimérisme mixte inférieur à 90% de cellules du donneur persiste au delà de 3 mois ou se réinstalle au cours du suivi, une immunomodulation est nécessaire avec dans un premier temps diminution rapide de la ciclosporine lorsque le traitement est encore en cours, sinon ou dans un deuxième temps en cas d’échec injection de DLI en sachant que dans l’un et l’autre des cas il y aura le plus souvent apparition d’une GVH.
En cas de rechute hématologique et échec des mesures précédentes, il est possible d’envisager une deuxième allogreffe de type myéloablatif en choisissant, si cela est possible, un donneur HLA compatible différent.
Dans notre expérience concernant la LMC, la survie globale dans la GNMA et la greffe myéloablative est respectivement de 58,5% et 67% et la survie sans événement de 44,6% et 63%, elles sont statistiquement identiques ainsi que la TRM (mortalité en rapport avec la procédure) 28,1% et 26,9% (11).
CONCLUSION
La greffe non myéloablative est une modalité intéressante actuellement en pleine extension. De 1998 à ce jour, le nombre de GNMA est en constante croissance du fait de l’élargissement de ses indications. L’apparition de cette modalité de greffe a été salutaire pour notre centre du fait de la demande importante et croissante provenant des différents services du pays. L’introduction de cette technique en avril 2001 nous a permis d’élargir nos capacités de greffe. En effet, cette technique a l’avantage de s’effectuer en milieu semi stérile car de toxicité réduite.
Il est, néanmoins, indispensable de suivre la cinétique du chimérisme et de la maladie résiduelle de façon séquentielle avec recours aux DLI à la phase précoce de la rechute.
REFERENCES :
-1. Slavin S, Nagler A, Naparstek F: Non myeloablative stem cell transplantation and cell therapy as an alternative to conventional bone marrow transplantation with lethal cytoreduction for the treatment of malignant hematologic diseases.
Blood.1998; 91:756-63
-2. Bensinger WI, Weaver CH, Appelbaum FR: Transplantation of allogeneic peripheral blood stem cells mobilised by recombinant human granulocyte colony-stimulating factor.
Blood. 1995; 85: 1655-1658
-3. Passweg JR, Rowlings PA, Armitage JO: Report from the IBMTR.
Clinical Transplants; 1995-1996. 117- 28
-4. Valcarcel D, Martino R, Caballero D: Chimérisme analysis following allogeneic peripheral blood stem cell transplantation with reduced-intensity conditioning.
Bone Marrow Transplantation. 2003. 31, 387- 392
-5. Kolb HJ, Schattenberg A, Goldman JM: Graft versus leukaemia effect of done lymphocyte transfusion in marrow grafted patients.
Blood. 1995; 86:2041-50
-6.Uzumel M, Mattson T, Brune M: Kinetics of minimal residual disease and chimerism in patients with chronic myeloid leukaemia after nonmyeloablative conditioning and allogeneic stem cell transplantation.
Blood. 2003; 101:469-472
-7. Ruiz-arguelles GJ, Gomez-almaguer D, Lopez B: Results of an allogenic nonmyeloablative stem cell transplantation program in patients with chronic myeloid leukaemia.
Hematologica 2002;87: 894-899
-8. Martino M, Caballero MD, Canals C: Reduced-intensity conditioning reduce the risk of severe infections after allogeneic peripheral blood stem cell transplantation.
Bone Marrow Transplant.2001; 28:341- 47
-9. Giralt S, Thall PF, Khouri I : Melphalan and purine analog-containing preparative regimens : reduced-untensity conditioning for patients with hematologic malignancies undergoing allogeneic progenitor cell transplantation.
Blood 2001; 97:631-637
-10. Benakli M : Greffe allogénique non myéloablative génoidentique.
Thèse de DESM ; juin 2005
-11. Ahmed-nacer R, Benakli M, Hamladji RM, Talbi A, Mehdid F, Belhadj R,
Boudjedir K: A comparative study of nonmyeloablative and myeloablative allogenic hematopoetic stem cell transplantation in the chronic leukemia.
31st Annual Meeting of the European Group for Blood and Marrow Transplantation
Abstract 796. Prague, March 20-23, 2005